L’un a créé parmi les plus belles pochettes de disque du rap français période milieu 90’s/2000 – Oxmo Puccino, Ärsenik, 113, Kery James, Espionnage… -, des albums passés depuis à la postérité tant pour leur empreinte artistique que visuelle, l’autre réalise depuis quelques années les projets artistiques parmi les plus esthétiques du rap actuel – Nekfeu, Orelsan, Lomepal, Disiz, Alpha Wann…-. Sachant que leur travail et leurs interventions vont bien au-delà (typographies, clips, pubs, logos…) pour de nombreuses marques et projets de premier plan pour chacun. Deux figures majeures dans le design et l’art visuel contemporain.

Quand l’idée de ce nouveau magazine a démarré, la possibilité de pouvoir organiser une rencontre physique (et inédite) entre Alexander Wise et Raegular (a.k.a. Samuel Lamidey) afin qu’ils discutent et partagent leur vision de la musique et de l’image – et leur expérience autour de leurs projets préférés – fut l’un des premiers sujets à être proposé, et retenu.

Mais Alex vivant entre la Suisse et Paris, et Samuel étant basé à Rome, il a fallu opter pour un autre type de discussion. Nous leur avons alors demandé de préparer cinq questions l’un pour l’autre, avec leurs dix pochettes favorites, et c’est par email et en différé que l’échange a eu lieu.

@raegular
@alexanderwiseparis

“RAEGULAR > ALEX WISE”

R : Salut Alex, j’ai grandi avec pas mal des albums sur lesquels tu as travaillé. Personnellement, je retiens bien sûr ta collaboration avec Espionnage et Dj Mehdi ou Opéra Puccino. Toi, dans le lot, lesquels retiendrais tu et pourquoi ?

 

A : La pochette de 113 reste remarquable de par le brief du groupe : “On ne veut pas paraître sur la pochette. Le sujet principal, c’est notre environnement, pas nous.” Ce qui était assez inédit pour l’époque. D’ailleurs, Thibaut de Longeville, avec qui j’ai fait ce projet, a réalisé un mini-documentaire sur le “making-of” du visuel qui est visible dans l’exposition Hip-Hop 360 à la Cité de la Musique pour ceux que ça intéresse…

On était proche de beaucoup d’artistes avant qu’ils ne soient signés par une major. Du coup, ils nous faisaient confiance en termes d’image et les artistes ont souvent imposé nos idées au label, qui avaient parfois une vision un peu stéréotypée de ce qu’était le marketing du rap. On a voulu casser les codes du style : typos chromées, impacts de balles, etc.

 

R : Quand as-tu su que tu voulais être graphiste, designer et quelle a été ta formation ?

 

A : Je suis 100% autodidacte. Ma mère étant artiste-peintre, j’ai grandi entouré de livres d’art, de graphisme et de design. Je me suis formé aux logiciels en créant des visuels : t-shirts, pubs, catalogues et stickers pour Street Machine, un skateshop parisien, au début des 90’s.

 

R : J’ai vu que tu faisais aussi du design, de l’objet, comment opères-tu la transition entre les deux et travailles-tu différemment un projet 3D d’une image ?

 

A : En fait, quand je travaille sur un design 2D, j’utilise très souvent une grille comme structure. Et pour un objet, je transpose ce processus en utilisant une grille 3D.

 

R: Tu as aussi été à la direction de l’image et des visuels avec Dj Mehdi et Espionnage. Que peux-tu nous dire sur cette collaboration ?

 

A : Quand j’ai vu son projet de maxi “The Cambridge Circus »*, je savais qu’il faisait référence aux romans d’espionnage de John Le Carré. Du coup, j’ai découvert qu’on avait cet intérêt en commun ! Pour Espionnage, j’ai voulu développer un look assez froid, technique et urbain qui reflétait la frontière entre l’électro et hip-hop que Mehdi explorait.

(* le surnom du QG du service secret anglais)

 

R : Que penses-tu de ce qui se fait aujourd’hui dans le domaine de l’image musicale, et plus particulièrement du rap ?

 

A : Je pense qu’en 25 ans, le rap est devenu une musique pop/mainstream, du coup son identité n’est plus une exception. Il assimile les tendances visuelles actuelles au même titre qu’il les influence… Toi, je suis ton travail sur Instagram. Tu mélanges les codes visuels du/des genre(s), ce qui est rafraîchissant. J’aime beaucoup le projet Cyborg de Nekfeu, notamment pour le travail de la typo.

“ALEX WISE > RAEGULAR”

A : Penses-tu qu’il existe une esthétique graphique propre au rap aujourd’hui ?

 

R : Beaucoup moins par rapport à avant si on parle de l’esthétique hip-hop qu’est le graffiti, le tag etc. Mais c’est normal, car le rap n’est plus une contre-culture aussi assumée qu’avant et s’est démocratisé, « popifié » même dans sa musique et son message. C’est normal que son esthétique ait évolué en parallèle et soit allé piocher dans des cultures voisines comme l’électro ou le rock par exemple.

 

A : Est-ce que tu approches le design des formats physiques (vinyles, CD) différemment des supports digitaux ?

 

R : Différemment non, car j’essaie de toujours faire les deux ensembles. Par exemple je fais toujours des prévisualisations en vinyle ou en CD d’une cover même si elle n’a pas valeur à sortir en physique, afin de prendre du recul et de voir si elle fonctionne. Ensuite, il y a les projets un peu plus particuliers où on veut faire un packaging spécial (ex : Les étoiles vagabondes / Expansion de Nekfeu) et là, il y a forcément un travail de réflexion autour de la maquette et de l’objet qui est plus poussé.

 

A : À quel point interviens-tu sur la DA du photoshoot (concept, stylisme, lumière…) d’un projet ?

 

R : Cela dépend vraiment des projets car je m’adapte. Il y a des shootings où je gère absolument tout, du concept jusqu’au placement de la lumière sur le shoot (ex : UMLA d’Alpha Wann, Flip de Lomepal…), d’autres où je vais imaginer et maquetter l’idée et la DA puis travailler avec un photographe pour shooter avec moi (ex : Memoria de Jazzy Bazz shooté avec Julien Liénard), et d’autres où je vais récupérer les photos d’un shooting déjà existants et travailler le graphisme autour de cette matière (ex : L’amour de Disiz).

@alexanderwiseparis

A : Fais-tu de la vidéo (clips ou autres), et sinon as-tu cela en tête ?

 

R : Non j’ai effectivement fait des tout-petits essais il y a quelques années sur quelques projets, mais pas depuis longtemps. J’aimerais bien. Il faudrait qu’il y ait une bonne idée, car personnellement, je ne suis pas très attiré par les gros clips très produits comme on en voit beaucoup aujourd’hui. J’aime bien les petits clips qui ont un concept une idée simple qu’on pousse loin même juste visuellement. J’ai grandi avec le coffret dvd des Director series de Spike Jonze, Michel Gondry ou Chris Cunningham. C’était génial de voir tant de créativité avec parfois très peu de moyens.

 

A : Intègres-tu une réflexion sur le merch, la scénographie, etc. à la réception d’un projet d’artiste ou label ?

 

R : Quand on me le demande, oui bien sûr. Le merch, c’est souvent le cas et c’est une continuation des éléments graphiques que j’ai pu faire sur le design d’un album. La scénographie, c’est plutôt rare qu’on me l’ait demandé, mais c’est déjà arrivé. Et pour revenir à ta question d’avant, ça m’attire beaucoup plus de développer cette partie de mon travail plutôt que la vidéo par exemple. Réfléchir au prolongement du design dans l’espace, au graphisme en trois dimensions, c’est vraiment un truc que j’aimerais plus faire à partir de maintenant.

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