Tassiana Aït Tahar

« FUCK ! » crie l’enfant qui nous invite à son exposition Kids Turned Out Fine à la Galerie Espace Temple du 2 au 5 mai. Une interjection remplie de désinvolture, de pulsions, d’innocence. Dans le nerf de la favela de Morro da Providência, au Brésil, Tassiana Aït Tahar clique sur un petit bouton pour capturer des mouvements d’insouciance, d’authenticité et de pur kif des enfants. Pour célébrer ces enfants stars, DRP s’est entretenu avec elle pour qu’elle nous en dise plus sur cette exposition.

DRP : Peux-tu te présenter ?

Tassiana : Je m’appelle Tassiana Aït Tahar, j’ai 26 ans. J’ai récemment intégré les Beaux-Arts de Paris en troisième année. Avant, j’étais à l’école Kourtrajmé, dans la promo de 2020 avec JR, pour qui c’était la première promo. Je suis avant tout une artiste contemporaine.

DRP : Peux-tu nous raconter comment tu es passée de l’école Kourtrajmé à lancer ton exposition Kids Turned Out Fine à la Galerie du Temple ?

Tassiana : À la base, mon entrée à Kourtrajmé, était tendue. Initialement, je n’avais pas été acceptée et ça m’a vénère parce que je ressentais que cette école, c’était là où je devais être. J’avais cette rage en moi, une sorte d’injustice. Donc un soir, j’ai tagué l’école avec mon prénom et j’ai placardé mes photos partout. Le lendemain, je reçois des messages de Ladj et JR : « Viens, demain il y a les auditions. » Ça semblait surréaliste, comme un film américain. Arrivée à l’audition, je m’entends très bien avec JR, on rigole, comme si on se connaissait depuis toujours. Le lendemain, ils m’appellent pour me dire que je suis prise, et là, je me dis qu’il fallait que je charbonne à fond. J’étais en mode survie, parce que je ressentais un peu le syndrome de l’imposteur. En parallèle, j’étais livreuse Uber Eats je finissais mes services à 1h du matin pour commencer à l’école à 9 heures. J’ai dû prouver que je méritais ma place. Après une année à fond, j’expose au Palais de Tokyo – où mon projet Uber Life était exposé –, et JR me propose de venir à son autre école à Casa Amarela au Brésil qui est une sorte de résidence culturelle, un projet qu’il a monté avec le photographe Mauricio Hora. Je suis donc partie avec Jefry Lopalanga, un ancien élève de Kourtrajmé, où on a animé un workshop de cinéma pour le festival Novembro Negro, afin d’aider les jeunes à monter des vidéos. On est resté trois mois là-bas, et c’était incroyable.

DRP : Quelles étaient tes impressions en arrivant là-bas ?

Tassiana : Je te mentirais si je te disais que je suis arrivée sans clichés, c’est faux. Avec Jefry, on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Je pensais débarquer et voir des scènes comme les campagnes UNICEF, où tu vois les gamins mal en point comme ceux qu’on nous montre depuis qu’on est mômes. Ça a façonné notre imaginaire collectif, cette idée que les enfants des pays avec de grosses fractures sociales sont des malheureux qui vont te voir débarquer et te prendre dans les bras en mode « vous êtes nos sauveurs ». Ça m’a foutu la haine de réaliser que j’avais été endoctrinée avec cette image alors que quand on est arrivés, les enfants savaient pourquoi on était là mais ils continuaient leur life, normale.

Tassiana Aït Tahar
Tassiana Aït Tahar

DRP : Justement, as-tu eu cette mécanique de penser qu’il ne fallait pas que tu prennes des photos clichés ?

Tassiana : J’ai juste fait des photos comme j’ai l’habitude de le faire dans n’importe quel endroit du monde, comme si j’avais été en France. Je ne suis pas venue avec cette idée en tête de prendre des photos des enfants des favelas, c’est juste que c’était notre quotidien. J’ai essayé de rester la plus authentique et la plus vraie possible, et juste capturer notre réalité ensemble, tous les jours, avec les petits. Puis, l’idée du projet, je l’ai eue six mois après en étant en France.

DRP : As-tu fait face à des contraintes, des défis ?

Tassiana : Défi, non, mais c’est vrai que tu ne peux pas prendre partout en photo dans la favela, c’est pour ça que tu vois pas de photos de paysage. Quand tu regardes les photos, en soi tu ne captes pas que c’est dans une favela. Déjà, il n’y a pas de map de la favela sur Google Maps, tu as des rues qui ne sont pas localisées. Elles ne sont pas répertoriées parce que les trafiquants ne veulent pas que les policiers puissent les retrouver. Tu sens qu’il y a une pression qui est présente. Après, c’est une bonne contrainte de ne pas avoir pu photographier partout, dans le sens où je ne tombe pas dans ce cliché-là justement. Je trouve que ces contraintes ont créé mon projet, ce ne sont même pas des contraintes, mais plutôt des caractéristiques, c’est ça qui va un peu définir et tracer tout un projet quelque part et je trouve ça beau.

DRP : Tu utilisais quels appareils là-bas ?

Tassiana : Argentique principalement. Il y a de l’iPhone aussi comme la petite avec le tatouage, c’est de l’iPhone. Je ne fais aucune distinction entre mes appareils, ça m’importe peu. Pour moi, une photo n’est pas moins bonne parce qu’elle est prise avec un iPhone avec un Canon ou un Sony. Quand tu es photographe, en tout cas c’est mon point de vue, je me considère comme une artiste contemporaine, j’explore plusieurs formes, c’est le fond qui m’intéresse. Le plus important, c’est ce que tu veux exprimer.

Tassiana Aït Tahar

DRP : Tu nous parles des petits ?

Tassiana : Les petits étaient des stars, ils voulaient tout le temps être pris en photo et parfois, ça me fatiguait carrément. Mais franchement, j’en garde un souvenir incroyable.

DRP : Que peut-on retrouver d’autre à ton expo ?

Tassiana : En plus des mes photos et des sculptures, j’expose aussi les œuvres de Dobby Douglas, un de mes potes qui habite dans la favela et qui photographie le quotidien des enfants là-bas. Il est super fort, il a une sensibilité qui me touche.

DRP : Le but, c’est de refaire l’expo à New York ! Peux-tu nous parler davantage des sculptures ?

Tassiana : Pour ces statues, j’ai repris les codes des statues occidentales, mais je les remets à ma sauce pour en faire des monuments, je veux célébrer mes héros. Ces enfants, j’ai envie de les célébrer, je veux qu’ils soient traités comme les stars qu’ils sont, qu’ils fassent une tournée, quoi ! J’ai repris la petite Jamile sous forme de Statue de la Liberté, ce qui fait aussi écho à mon envie de continuer cette expo à New York, mais ici, le monument, c’est Jamile. Ajouter des sculptures, ça rajoute une profondeur, un nouvel aspect à l’exposition. Ça permet de sortir ces enfants de la photo, de les faire exister en grandeur nature, comme des monuments. Ça renforce la manière de célébrer ces enfants. Quand tu te balades dans Paris, tu vois des monuments et des noms qui ne te parlent pas, qui viennent d’un passé esclavagiste et colonialiste. Avec cette statue, il y a aussi ce côté de dire « fuck » au monde occidental, montrant le type de héros qu’on veut voir désormais. Mon propos, ce n’est pas juste le Brésil, ça pourrait être n’importe où dans le monde, mais c’est surtout sur les enfants des pays avec des fractures sociales.

@tassiana.ait

DRP : Tu m’expliques l’histoire de la photo du flyer de l’expo ?

Tassiana : La petite sur la photo, qui s’appelle Jamile, elle me fait un doigt et clairement, elle dit « fuck ». C’est pour ça qu’elle a la bouche comme ça. Cette enfant est vraiment le symbole de mon exposition. Pas Jamile en tant que telle mais c’est une allégorie. C’est une petite qui m’a particulièrement touchée.

DRP : Peux-tu nous expliquer le titre de ton exposition ?

Tassiana : Je voulais juste quelque chose qui montre que les enfants s’amusent, ils kiffent leur vie et que malgré tout ce qui se passe, eux vivent leur vie d’enfant de leur âge.

 

L’exposition “Kids Turned Out Fine” se tiendra du 2 au 5 mai à la Galerie Espace Temple au 139 rue du Temple, 75003 Paris.

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