@loumatheron

Un jour, il y a quelques années, j’étais en train de prendre un café en terrasse d’un bistrot du 11ème, à Voltaire, et je vois arriver un garçon souriant, stylé, bob sur la tête, en short, et bien tatoué des bras aux jambes, qui s’assoit à côté de moi. Les souvenirs sont diffus, mais je me souviens qu’il était très cool, qu’on a un peu discuté, qu’il m’a dit qu’il était tatoueur et venait d’ouvrir un studio de tatouage, L’Encrerie, pas très loin, à Saint-Ambroise. Une petite discussion des plus agréables, et salut, à bientôt peut-être… L’histoire aurait pu s’arrêter là, sauf que des mois plus tard, je passe devant une étrange devanture avec une vitrine bien inhabituelle, entre cabinet de curiosité et apprenti sorcier… Des fioles, des bouteilles, des crânes d’animaux… Et un joli lettrage : L’Encrerie. Intrigué et me remémorant ma rencontre, je reste planté là quand sort un petit groupe enjoué au look mi hip-hop, mi cholo, avec parmi eux le patron des lieux : Léo Gavaggio. Depuis, je me suis plongé à foison dans son univers, dans son art, tant de tatoueur que d’illustrateur. Un talent fou, hors-norme (et toujours avec le sourire). La figure centrale de cet illustre salon de tatouage, et depuis galerie et espace culturel, à la renommée internationale et fourmillant de projets, qu’est devenu L’Encrerie. Une belle personnalité, au sein d’une sacrée équipe composée désormais de quatorze personnes, que nous sommes heureux de vous présenter aujourd’hui.

Peux-tu en dire un plus sur toi et comment tu t’es mis au dessin ?

 

Je m’appelle Léo, j’ai 38 ans, j’ai grandi à Marseille dans le quartier de La Belle de Mai. L’Éducation nationale ayant été incapable de susciter un quelconque enthousiasme chez moi, j’ai préféré m’abandonner au dessin et à la blague, mes deux matières préférées avec mon ami d’enfance Inzi, au fond de la classe, près de la fenêtre et loin des premiers (rires). La période de puberté m’a ensuite fait faire un tour du côté du doute, de la paresse et des bêtises. En faisant un crochet par les missions intérimaires avant de repartir naturellement du côté de ce qui m’appelait vraiment : le dessin, les blagues et les copains.

 

Quelles ont été tes premières inspirations en matière d’art, et aussi de tatouage ?

 

Ma mère m’a emmené jeune à la bibliothèque et mon premier choc fut de découvrir qu’au-delà des Tintin, des Thorgal ou des Kid Paddle censés être des succès qui trainaient au centre aéré, il existait des bandes dessinées pour adultes, avec des blagues d’adultes. Des histoires bien plus sympas j’imagine, car scénarisées et dessinées par des grands. Quelque chose d’authentique je dirais. Et avec le recul, aujourd’hui je suis un peu moqueur quand j’imagine un bédéaste dessiner des collections complètes pour enfants la clope au bec, en train de penser à tout autre chose que les personnages de ses bandes dessinées (rires), les filous. Pour ne donner que quelques références mythiques, ce serait l’artiste Jean Giraud alias Moebius, et quelques magazines compilant différents dessinateurs comme Métal Hurlant, L’Echo des Savanes ou Fluide Glacial. Une ère où la bande dessinée était subversive et chaude comme la braise. Pour le tatouage, la première claque que j’ai reçue c’est quand j’ai découvert B-Real du groupe Cypress Hill les deux avant-bras totalement bleus, illustrés de dessins d’une saveur lointaine, avec des panthères noires et des papillons. Il les gigotait de manière hypnotique sur des instrus avec ses potes qui m’ont fait choisir leur camp plutôt que celui de Roch Voisine.

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Plus largement, au niveau culturel, on sent chez toi beaucoup d’influences et de richesses créatives, de passions multiples et complémentaires aussi : qu’est-ce qui a contribué à forger ta personnalité et ta vision des choses ?

Oulah ! La boîte de Pandore (rires). Entre les récits ésotériques d’Alejandro Jodorowsky retranscrits en BD par Moebius et la voie philosophique que cela m’a ouvert, associé à mon enfance à Marseille où très jeune, après l’école, je me retrouvais chez Imothep d’IAM – un peu avant la période d’Ombre et Lumière avec Shurikn et Akhenaton qui passaient répéter – où je me goinfrais de tout les cds et vinyles de pépites de rap français et américain qu ils ramenaient de New York, associés aux flows et au lyrics, je dirais que je suis un pied dans le matériel et l’autre dans le spirituel haha. Un petit bordel bien stimulant. Par exemple depuis tout gamin, j’ai toujours perçu dans l’attitude et dans la manière de se vêtir de certaines personnes l’expression de leur âme, de leur essence. Pour ma part, j’ai choisi le camp de Lord Infamous de Three 6 Mafia quand il évoque (Don’t like expensive clothes, just the gangsta apparel) le confort à petit prix. Mais je suis aussi très sensible à des entités comme les Rita Mitsouko, Klaus Nomi et autres folies douces qui jouent avec le paraître dans l’optique d’exprimer d’autres réalités plus joviales que le costume cravate par exemple. Attention, je n’ai pas dit que je n’étais pas sensible au dandysme d’Oscar Wilde ou des renards en costards des fables de La Fontaine, tu vois ? J’ai ri le jour où j’ai entendu « attends que le mec en costume apprenne que son patron est en t-shirt ». Aujourd’hui, pour résumer, tu mets dans une poêle à feu doux du ODB, du Blaise Pascal, du Gustave Doré, un peu de John Waters et de Russ Meyer, tu laisses dorer, c’est prêt.

 

Parlons de L’Encrerie : à la base comment est né le studio ? Quelles sont les motivations qui ont menées à ce projet devenu réalité ?

 

Je suis arrivé de Marseille et le destin m’a instantanément ouvert les portes d’un monde parisien créatif et actif. Ma clientèle a donc popé très fort, très vite et c’est à ce moment que j’ai fait la connaissance de Jey Noname, mon associé sur le studio qui est un touche-à-tout aux mille vies et qui travaillait à l’édition du magazine Intersection. Nous nous sommes tournés autour quelque temps puis avons décidé d’allier les savoir-faire, et le savoir-vivre, en ouvrant L’Encrerie. Dès le début, l’envie était d’avoir un beau lieu, sans indication de tatouage sur la devanture. Nous voulions avoir notre chambre d’ado 2.0 avec des moyens de communication et d’action d’adultes, et des valeurs utopistes romantiques du style « mort aux salauds, oui à l’amour ». Maintenant, on est juste plus nombreux à penser pareil.

 

Quelles sont les grandes étapes de L’Encrerie ? En quoi ces phases ont été des moments forts et essentiels dans le développement du studio selon toi ?

 

Je dirais que nous avons fait mouche par notre enthousiasme et ma bouche de Marseillais. Tout depuis le début part d’envies « zéro frustration » (rires). On est des vrais adolescents. Au-delà de ça, un jour Jey m’a présenté à sa pote E.V.E du légendaire crew Ruff Ryders, que j’ai tatoué et communication aidant, l’intérêt public fut suscité. Puis en créant une identité forte associée à une ligne de vêtements que nous avions vendu chez Colette, cette boutique incroyable ou les employés étaient les mêmes depuis le début ! Le genre d’utopie qui me parle et qui fonctionne. Dans laquelle nous avons été introduits par Guillaume Salmon qui était leur RP. À cela, il faut ajouter quelques collaborations, d’éditions d’objets et d’activations d’événements avec différentes marques, des voyages sur Los Angeles. Et des participations à des courses automobiles telles que le Gumball où on se retrouvait aux côtés de monuments tels que BunB, Estevan Oriol… Même de Michael Knight, le conducteur de K-2000 alias David Hasselhoff, qui faisait pêter le champagne avec nous haha. On a de bons moments en mémoire.

Aujourd’hui qui est dans le crew L’Encrerie et comment vous organisez-vous pour que chacun ait sa place et amène sa pierre à l’édifice ?

 

Gros casting similaire à l’Agence tous risques, avec des personnalités et talents variés. La E-Team se compose de : Favry, DizzyCali, Dylan Long Cho, Retsmon, Alexia Yumcha, Violette Lovecat, Yves Le Risk, Eva Couble, Alison Beaudouin, K-1000, Jey Noname et moi-même. Tous viennent d’horizons différents donc complémentaires, et tous sont dotés d’un humour et d’une éducation civique 5 étoiles. C’est merveilleux.

 

Beaucoup de gens passent vous voir : à un niveau personnel, pour toi, mais aussi pour le crew, si tu avais à revenir sur des souvenirs particuliers, quels seraient-ils ?

 

Pour ce qui est de l’interne, à L’Encrerie, nous tâchons de prendre soin les uns des autres. On échange énormément, on vit des choses ensemble, avec les amis affiliés. On fête peut-être quarante anniversaires par an maintenant (rires). On a par exemple organisé il y a quelque temps un trip à Los Angeles, où nous nous sommes retrouvés à quinze dans une immense maison d’un quartier cholo. Et ça, ça crée forcément des liens. Et puis, la bonne humeur alliée au travail, ça touche les gens, qui en touchent d’autres. Cela nous a permis d’encrer au studio des artistes comme Mac Miller, Meechy Darko, Freddie Gibbs, Conway the Machine, Stalley, Polyester The Saint, Krondon, Iamddb et beaucoup d’autres personnes qui comme nous, s’éclatent dans ce qu’elles font. Pour l’anecdote reloue qui est devenue finalement un souvenir drôle, j’ai dû, pour arranger des potes sur un bizness à l’époque, tatouer le fils d’un gros nom assez sombre d’un certain milieu parisien. Le mec a déboulé avec gros bras et filles de joie, j’étais sur le cul. Il était imbibé de vodka parce qu’il avait peur des aiguilles (rires). C’est con pour un « caïd ». Il m’a demandé une tête de tigre sur l’épaule, j’étais ravi. Cela m’a pris 6 heures au lieu de 2 parce qu’il bougeait, bavait sur son tatouage, me menaçait de m’envoyer ” le mec à la moto ” si je ratais. À un moment, il se lève pour aller aux toilettes et ne tenant plus debout, il m’a collé une traînée d’encre de six mètres sur un mur blanc en écrasant son épaule et en trainant la patte. Puis finalement tout s’est bien fini, j’ai eu le droit à un coup de fil le lendemain de sa frangine qui m’a dit « il t’adore, il aimerait vachement te revoir, on a jamais été aussi patient et sympa avec lui ». J’ai dit merci, que c’était sympa de le remarquer et j’ai fui cette malédiction.

Votre playlist chez L’Encrerie en ce moment ?

 

Tout le monde envoie à tour de rôle. Pour ma part c’est : Bob Marlich, Polyester the Saint, Fly Anakin, Pink Siifu, Bbymutha, Conway the Machine, Freddie Gibbs…

 

Tu me disais avoir appris à maîtriser l’art du tatouage avec l’expérience. Peux-tu expliciter ?

 

J’ai commencé à me gribouiller personnellement (rires). Cela peut s’apparenter aux vestiges des grottes de Lascaux. Après, comme tout dans la vie, on apprend à faire un truc, puis on apprend à bien le faire et ensuite, on apprend à le faire vite et bien. Concernant le style, c’est de l’ordre du ressenti : ça vient comme ça, en association d’images, de sons, de sensations dans ma tête et ça s’affine. C’est du plaisir, sans forcer. Ce que j’ai développé aujourd’hui, c’est le fruit de ma vie. Il y a d’une part les monogrammes que j’ai commencé a faire il y a huit ans. J’adore les lettres, mais j’étais gêné par le fait de livrer quelque chose de lisible. Je voulais que les personnes que je tatoue aient le fond et la forme, mais qu’ils puissent en parler par envie et non être lus et soumis aux questions intrusives de certains indélicats. Puis, cela a payé le jour où des mecs dont j’appréciais le boulot depuis longtemps m’ont validé comme feu Norm, un maître du lettering, membre des AWR/MSK, DrWoo et Scott Campbell. Je commence d’ailleurs à avoir pas mal d’enfants comme disait Gucci Mane à propos de la trap. Je tombe sur des profils de tatoueurs dans le monde entier qui passent d’un jour à l’autre comme par enchantement de dessins en tout genre à exactement le même concept, voir les mêmes tatouages (rires). Je vous aime mes adodas à quatre bandes. Puis il y a ce que j’appelle Faunecall inspiré directement de La Fontaine et des petites fables à l’air légères, mais pas tant que ça, sur les vertus et les travers du genre humain, un sujet infini.

J’imagine qu’avec la reprise depuis le covid et deux années bien spéciales, toi et le crew vous êtes très occupés, et fourmillez de travail. Quel est ton état d’esprit, et celui du crew en ce moment ?

 

Sortir le banc devant le studio, mettre des shorts, voir les bouches des gens sourires et avoir les jambes au soleil me procure le même air satisfait qu’Elon Musk qui rachète Twitter. Comme tout le monde, on s’est fait confisquer deux ans de goûter à raison d’un par jour. Ça fait 730 briques de Juice misent de côté au frais : on va y aller fort !

 

En matière de projets, y a-t-il des choses dont tu peux nous parler ? Des collaborations, des événements, des idées qui vont se concrétiser bientôt ?

 

Nous avons investi deux nouveaux lieux spacieux sur le boulevard Voltaire dans lesquels nous avons déjà, à plusieurs reprises, produit des concerts, showcases, pop ups, expositions complétant nos envies initiales de mélange culturel et créatif. Nous voulons donc en produire plus, toujours. J’ai aussi de mon côté plusieurs bébés en gestation comme des bijoux, des vêtements, des illustrations… Et une arrivée à gestation avec un ami maroquinier qui possède la marque Larfeuille, avec qui nous développons des objets biens coquins comprenant entre autre une pince à billet et un étui à dés pour jouer au street craps doré à la feuille d’or.

 

Un dernier mot pour les lecteurs ?

 

C’est celui qui lit qui y est !

 

Infos :

L’Encrerie : 2 Rue Lacharrière, 75011 Paris

@lencrerie @leogavaggio

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